Savoir collectionner les uranifères avec le maximum de sécurité
Nombreux sont les minéraux qui contiennent des éléments chimiques potentiellement toxiques (plomb, arsenic, mercure, cadmium, chrome…). Tout collectionneur devrait donc à la base prendre un minimum de précaution quand il manipule ses échantillons, à commencer par éviter de manger et de boire dans le même temps, et par se laver SYSTEMATIQUEMENT les mains après les avoir touchés.
La manipulation des minéraux uranifères ne fait pas exception, car l’ingestion ou l’inhalation de poussières risquerait de mettre en contact des particules avec les muqueuses des voies respiratoires ou du tube digestif ; leur endothélium est bien plus sensible aux rayonnements alphas et bétas que notre peau, l’épiderme étant je le rappelle constitué d’une épaisse couche (1 mm en moyenne) de cellules mortes kératinisées.
- Pour ce qui est de l’ingestion, le problème est surtout celui des poussières que l’on a sur les mains et que l’on porte ensuite à la bouche ; les particules ingérées vont rester au contact des villosités intestinales, délivrant les doses de rayonnement alphas et bétas directement au contact avec les lésions que cela suppose. Les atomes d’uranium peuvent ensuite être absorbés par l’organisme et pénétrer profondément les différents organes. La demi-vie (durée au terme de laquelle la moitié de la quantité ingérée est éliminée du corps) de l’uranium (principal atome radioactif contenu dans les minéraux) varie selon les tissus : 3 ans pour l’os, 10 ans pour le foie, 20 ans pour les reins (je connais un patient, ancien employé d’AREVA, suivi pour un adénocarcinome rénal ; le lien de causalité est assez évident… Il m’a d’ailleurs offert une petite bouteille emplie de Yellowcake lors de notre première rencontre..).
- En ce qui concerne l’inhalation, hormis le danger des poussières, le problème est surtout celui duradon. Il s’agit d’un gaz lourd dont la demi-vie est courte (3,8 jours seulement pour son isotope le plus stable le 222Rn). Selon l’OMS (octobre 2009), le radon serait dans de nombreux pays la deuxième cause de cancer bronchique, derrière le tabagisme. Je rappellerai en parallèle le nombre anormal de pathologies pulmonaires des pauvres mineurs de la région de Franceville au Gabon (sans compter les malformations congénitales, mais on parle là d’un site d’extraction et de transformation industrielle, sans commune mesure avec notre activité « artisanale »).
La sensibilité à la radioactivité n’est pas la même suivant les organes ; fort heureusement, les mains (qui sont au contact des pierres) sont peu radiosensibles (tout comme l’ensemble du tissu musculaire, osseux… ou encore comme le cerveau), à la différence par exemple de la thyroïde ou des gonades…
- I-La collecte et la préparation…
Ce paragraphe ne concernera sans doute pas la majorité des collectionneurs, tout le monde n’ayant pas le loisir et la chance de pouvoir de récolter lui-même ses échantillons (je m’intéresse par exemple personnellement souvent surtout à des pièces plutôt anciennes, tels les vanadates de Mounana au Gabon prélevés pour les plus beaux dans les années 50 et 60, ou encore les superbes et fragiles cuprosklodowskites de Musonoi dans l’ex Zaïre récoltées dans les années 70 et 80).
Les passionnés qui sont montés avec acharnement au front, pour découvrir ces magnifiques torbernites de Margabal savent déjà tout de cela, et je n’aurai pas la prétention de leur apprendre quoi que ce soit au sujet du port de masques, de gants, du lavage des outils après la récolte... Je passerai donc humblement vis-à-vis d’eux (que je remercie pour leur travail) sur le sujet de la collecte. Néanmoins, soyez prudents, et n’hésitez pas à consulter un médecin compétent à titre préventif ; faites-vous suivre ! (et puis un médecin est tenu au secret médical, il ne révèlera pas la localisation de vos spots préférés)
Il faut ensuite faire très attention lorsque l’on prépare un échantillon afin d’éviter toute inhalation de débris ; on limitera au maximum sciage, burinage, broyage… Et si l’on ne peut les éviter, le mieux est encore de réaliser les manipulations en extérieur (tout le monde n’a pas la chance de travailler en laboratoire sous hotte). Donc attention aux poussières dès qu’on sort le burin, la meule, l’éclateur ou la sableuse !!! Le port d’un masque et de gants devrait être obligatoire durant ces opérations, l’arrosage d’eau pendant la procédure est fort conseillé dès que possible. Je ne parlerai pas ici de la stabilisation des phosphates d’uranium après leur prélèvement pour éviter leur déshydratation et leur transformation irréversible en méta- (trempage dans du paraloïd par exemple), c’est hors-sujet.
- Exposer (confiner !) en vitrine…
Nous allons ici nous concentrer sur les précautions liées à l’exposition même de nos magnifiques minéraux. Et la première précaution à prendre est celle du confinement, afin de ne pas contaminer les autres avec notre passion, et l’environnement (notre domicile si nous déménageons un jour).
Les uranifères dégagent à la longue du radon. C’est une des raisons pour lesquelles je conserve tous mes spécimens dans des boites en plexiglastransparentes et fermées plus ou moins hermétiquement (boîte plastique Jousi par exemple, hélas disponibles seulement pour d’assez petits échantillons ; des boîtes bien plus grandes sont disponibles dans d’autres marques sur le net). En cas d’ouverture de ces boîtes (pour des photographies ou une inspection à la loupe), j’essaye toujours d’aérer la pièce en même temps.
descendre immédiatement vers le plancher qu’à monter vers mes narines… |
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Ces contenants transparents ont aussi pour vocation d’éviter la dispersion de poussières, inévitables avec les magnifiques phosphates qui se déshydratent souvent malheureusement en partie malgré leur traitement et deviennent alors pulvérulents (il suffit de regarder avec une lampe à UV le nombre de petites particules fluorescentes qui tapissent le fond des boîtes, et ce malgré l’absence de manipulation ou de choc préalable…).
Deux précautions valent mieux qu’une, je recommande de n’exposer les échantillons en boîte que dans une vitrine fermée à clé (sur une étagère ouverte, un enfant pourrait venir s’en saisir, une personne mal informée comme une femme de ménage pourrait être tentée de venir faire la poussière et disperser d’infimes particules égarées malgré toutes nos précautions).
Les boîtes, fait non négligeable, ont encore pour intérêt de limiter les dépôts de poussière sur les échantillons, donc de limiter les futures opérations de nettoyage et donc de réduire les manipulations.
Enfin, boîtes et vitrines permettent de stopper les rayonnements alphas et bêtas, pourtant très ionisants.
Tant que nous y sommes, il faut penser à étiqueter nos cailloux ; nous ne sommes pas éternels, et quand je disparaitrai, il n’est pas question que quiconque prenne des risques insensés à manipuler mes minéraux sans savoir ce dont il s’agit (on rejoint là le devenir de n’importe quelle collection ; un minéral sans identification ni provenance n’est plus qu’un vulgaire caillou, qui risque de finir dans une cagette au fond d’un garage ou d’une décharge) ; je me sers personnellement d’une étiqueteuse de marque Dymo, pour imprimer espèce et localité en blanc sur fond transparent (question de goût bien sûr) que je colle sur des socles en plexiglas, et le célèbre symbole radioactif « en trèfle » que tout le monde reconnait, en noir sur fond jaune et que je place sur les boîtes elles-mêmes.
… limiter notre exposition…
Une fois nos cailloux bien installés dans nos vitrines, persiste le problème des rayonnements gammas, qu’aucune cloison hélas n’interrompt (pas même un épais mur de plomb, qui permet seulement de les atténuer). Il est évidemment hors de question d’installer chez soi une cloison plombée (c’est lourd, çà s’oxyde, ça coûte un bras, c’est laid et çà cache nos belles vitrines où l’on vient de s’embêter à exposer de jolies boîtes transparentes, et surtout pourquoi se protéger de l’uranium si c’est pour troquer un saturnisme à la place…).
Par contre, fort heureusement pour nous, l’énergie de ces fameux rayons gammas est proportionnelle à l’inverse du carré de la distance à la source ; cela signifie, pour ceux qui n’y entendent rien aux lois de la physique, que ces rayons décroissent très vite quand on s’éloigne de nos cailloux préférés.
Il faut donc limiter au maximum la durée où vous vous exposez aux rayons (enfin, pas de paranoïa non plus si vous discutez passionnément juste devant le stand d’un collectionneur dans une bourse, vous n’allez pas développer une hémopathie maligne, la dose reçue reste assez faible à côté des rayonnements usités dans le domaine de l’imagerie médicale !) et éloigner vos vitrines de votre lieu de vie, ce qui ne veut pas dire les mettre dans votre abri de jardin, mais d’éviter de les installer au milieu de votre cuisine.
(qui contient non seulement de « gentils » phosphates, vanadates, silicates, mais aussi des pechblendes massives… et pour info je ne collectionne que de « grosses » pièces dites « cabinet » ou « petit cabinet », n’étant pas fan des chiures de mouche), mon compteur Geiger ne détecte plus qu’un débit de dose de 0.22 microSV/h (dose comparable à celle émise par l’environnement naturel en France) ; il faudrait donc que je passe 1000 heures, soit presque 42 jours devant mon ordinateur (heureusement que je ne suis pas branché MMORPG…) pour recevoir autant de rayonnements ionisants qu’une simple et pauvre radiographie pulmonaire (environ 0.2mSv). |
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Moralité, si vous souhaitez collectionner les uranifères, évitez de stocker vos pierres sous votre lit, sur votre bureau ou au milieu de votre pièce de vie, et investissez dans un dosimètre (compteur Geiger-Müller) afin de vérifier que vous êtes en sécurité là où vous passez du temps. Quand on visualise des chiffres, on visualise et on évite le risque !
…et rester raisonnable !
Il va de soi que la passion nous fait parfois perdre la raison, et il semble que Freud disait des collectionneurs qu’ils étaient restés au stade anal (plaisir de garder, refus d’exonérer). Il faut donc résister à l’envie d’accumuler à tout prix des kilogrammes de roches, comme Marie Curie qui stockait dans un hangar plusieurs tonnes de Pechblende provenant de Jachymov dans l’actuelle République Tchèque ; je rappelle qu’elle est morte d’une leucémie radio-induite à l’âge de 66 ans !
assez faible : un encroutement de 2 ou 3 millimètres d’épaisseur sur un beau spécimen sur matrice ne représentera que quelques grammes de minéralisation ; deux atomes d’uranium seulement entrent dans sa formule chimique Ca(UO2)2(PO4)2,10-12H2O ; et surtout il s’agit d’uranium naturel constitué à 99,275 % de l'isotope 238 qui irradie assez peu, et seulement de 0,719 % de l'isotope 235 très fissile (je passe sur les traces d'isotope 234) ; les éléments réellement dangereux de la chaîne de désintégration de l’uranium (polonium, radium…) ne sont donc présents qu’à l’état de traces sur ce joli phosphate ! Ce n’est plus la même chose, et l’irradiation émise est autrement plus importante si l’on parle d’une uraninite massive (dont la formule est UO2, et qui est par ailleurs assez moche en général) ou des minéraux du thorium : thorite (de formule (Th,U)SiO4), thorianite (ThO2), monazite ((Ce,La,Nd,Th)PO4 qui peut contenir jusqu’à 12% d’oxydes de thorium)… |
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En conclusion
Le principal danger des uranifères est celui des poussières que l’on peut inhaler ou ingérer (surtout avec les phosphates –autunite, torbernite, uranocircite…- et les délicates et fragiles aiguilles de cristaux aciculaires –uranophane, cuprosklodowskite-). Il faut donc limiter au maximum les manipulations et se laver les mains systématiquement à leur contact.
Les dangers de l’irradiation une fois les pièces exposées correctement sont infimes en comparaison !